L'élève allophone est-il un élève comme les autres ?

Quelques mois maintenant que j'écris sur ce blog et je m'aperçois que je n'ai pas encore vraiment parlé de mes élèves. J'avais dans l'idée de faire quelques portraits individuels, issus des rencontres marquantes de ces dernières années, j'en ai commencé quelques uns mais ne les ai pas publiés. Trop intimes et je ne voudrais pas faire d'impair, en gêner certains en dévoilant des aspects trop personnels de leur parcours.
Je vais donc m'orienter vers une description plus générale de l'élève allophone. Et celle-ci ne recouvrera pas forcément la réalité de tous mes collègues enseignant sur le dispositif, elle est circonscrite à mon établissement qui s'inscrit dans un quartier du centre de la ville de province où j'enseigne. Elle est je pense, représentative en moyenne, de ce qui se passe dans nos classes.
Lorsque je dis dans les dîners ou autre apéros que j'enseigne aux allophones (parfois je dis "migrants" et déjà, choisir l'un ou l'autre de ces deux termes peut modifier les représentations et les réactions qui suivent), les mines sont empreintes d'un respect circonspect : je sens l'admiration que suscite mon engagement.
Mes interlocuteurs imaginent des élèves difficiles scolairement, socialement et en terme d'attitude aussi. Ils me renvoient presque systématiquement à une idée de mission impossible.
Cela correspond sensiblement à ce que j'imaginais de mon métier avant de le faire.
Et c'est, en fait, très loin de ma réalité quotidienne.
Socialement, mes élèves sont issus, dans leur plus grande majorité, des classes moyennes, voire supérieures. Ce sont elles qui migrent pour un avenir meilleur, ce sont elles qui ont les ressources économiques, intellectuelles et psychologiques, pour envisager un total changement d'existence.
Bien sûr, j'ai rencontré sur mon parcours des élèves dans la précarité, c'était en général des mineurs isolés, pris en charge dans des foyers (l'aide sociale à l'enfance a pour obligation de recueillir les enfants de moins de 16 ans et de les scolariser). Ou des enfants arrivés en France suite à des conflits, les guerres de Tchétchénie ou de Côte d'Ivoire ou des pays d'Europe de l'Est (Ukraine, Biélorussie..). Ces élèves ont été plus difficiles en effet à scolariser : en fonction de leur parcours, ils peuvent avoir été cassés par ce qu'ils ont vécu mais cela reste exceptionnel. Et leur capacité de résilience ne laisse jamais de m'émerveiller et me donne la force de continuer à les accompagner malgré leurs difficultés.
Scolairement, ils sont aussi plutôt dans une forme de normalité : leur parcours scolaire a souvent été classique, parfois même ils sont dans l'hyper performance avec de très bons résultats dans leur pays d'origine. A contrario, j'ai eu des élèves parfois peu ou pas du tout scolarisés dans leur pays d'origine (profil NSA) mais cela reste rare là aussi.
L'attitude scolaire quant à elle, est exemplaire : l'allophone est l'élève "rêvé" : celui qui fait son "métier d'élève" et écoute religieusement l'enseignant. Parfois j'ai l'impression que je pourrais leur lire le bottin sans jamais écorner leur enthousiasme ou leur intérêt. Ce que je ne fais bien sûr pas, et tout le challenge c'est justement de les sortir un peu de cette attitude hyper scolaire pour les encourager à développer leur autonomie et leur confiance en eux. Les attentes de ces enfants et leurs parents vis à vis de l'école française sont très fortes, ils en ont une très bonne image, souvent même ils ont migré pour donner à leur enfant la possibilité d'une scolarité à la hauteur de ce qu'ils imaginent pour lui, et notre responsabilité est forte de ne pas les décevoir. D'autant que les parents, pris dans leurs problématiques migratoires (trouver un travail, un logement...) nous confient leur progéniture les yeux fermés dans une totale confiance.
Alors non, l'élève allophone n'est pas un élève comme les autres, il est un bonheur d'enseignant.

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