La vague (Chroniques d'un confinement IV)

Trois semaines maintenant que nous confinons.
Et je commence à prendre mes marques.
La première semaine, je l'ai dit, je l'ai passée à entrer en contact avec mes 28 élèves par mail, texto, Whatsapp ou coup de fil quand rien de tout ça n'avait marché. J'ai récupéré le travail que je leur avais donné à faire avant de partir (exercice d'écriture, questions de compréhension). Et je les ai beaucoup rassurés surtout : oui, je serai là avec eux, on était tous dans la même galère mais ça allait le faire ! (alors que j'étais moi même pas au top de la confiance...)
Ça a été une semaine plutôt tranquille, de mise en place du lien à distance.
Le seconde semaine, j'ai décidé de démarrer une nouvelle leçon. Je sais, pour en avoir discuté avec des collègues et lu des articles sur le sujet, que ce n'était pas la norme. La majorité des enseignants, y compris sur le dispositif, ont décidé de faire essentiellement des révisions de ce qui avait été vu en classe ultérieurement.
Mais mon avis c'était qu'avec les allos, on n'avait pas trop le temps de se poser la question : tout ce qu'on ne leur apprend pas est perdu, jamais enseigné dans les classes qu'ils vont intégrer l'année suivante. Et puis ça valait le coup d'essayer, peut être de se planter mais je ne voulais pas avoir de regrets.
J'ai donc commencé le lundi de la deuxième semaine, une leçon sur le passé composé avec comme texte support la poésie de Prévert, Déjeuner du matin, que je leur avais donnée le dernier jour.
Ils pouvaient voir sur You tube trois vidéos que j'avais sélectionnées, ce qui leur donnait du coup une idée assez précise du sens du texte. Et devaient relever les passés composés dans le texte.
Là a été le début des difficultés : les élèves n'ont pas tous répondu présent tout de suite, certains ont commencé très tard dans la journée et je me suis retrouvée à répondre à leurs questions de 9h à 21h. J'ai fini lessivée, me promettant de ne plus me laisser embarquer dans un tel guet-apens (ne pouvant m'en prendre qu'à moi même d'ailleurs, j'avais qu'à éteindre mon portable !)
Les jours suivants je leur ai donné la leçon et les exercices d'application.
Avec le même constat qu'en classe : il y a les élèves autonomes pour lesquels rien n'est insurmontable et puis il y a les autres (à peu près un tiers du groupe, la plupart A0). Ces derniers m'ont envoyé des dizaines de messages, m'ont poursuivie jusque tard dans la soirée (une fois encore, je ne suis pas arrivée à décrocher) pour des résultats au final plutôt décevants.
Car la distance n'a fait qu'ajouter aux difficultés initiales : le tutorat que j'utilise dans ma classe est inexistant dans ces conditions, et les parents, qui ne parlent pas français en majorité ne sont d'aucun secours ni pour moi qui ne peut m'appuyer sur eux, ni pour leur enfant.
Les moments de comparaison des langues que je mets en place lorsque je vois que certains ne comprennent vraiment rien, ne sont pas non plus efficients aujourd'hui. Ils nécessitent du présentiel et ne peuvent se faire par téléphone.

La semaine suivante, j'avais prévu de faire une nouvelle leçon. Mais au vu des difficultés rencontrées avec mes élèves A0, je décidai de faire deux groupes d'apprenants (je leur avais proposé une évaluation par QCM, avec l'aide de Google forms, qui m'a permis d'affiner mon diagnostic et de constituer les groupes) : je repris le passé composé avec eux, et lançai les autres sur deux activités adaptées à leur bonne compréhension de la leçon (dessin et texte au passé composé avec pour sujet le confinement). Activités qui demandaient moins d'investissement de ma part (une relecture, des indications pour la correction), ce qui me permettraient d'être plus présente pour les plus fragiles.
A la fin de la semaine, je leur ai proposé une nouvelle évaluation, sous forme de dictée, sur Whatsapp cette fois. Las, mes A0 ont globalement échoué à celle-ci, à mon plus grand désarroi.
Car cet échec est au prix d'un travail surhumain : j'ai passé ma semaine à jongler entre les deux groupes, surfant difficilement sur une vague allant en grossissant, me sentant dépassée, voire noyée à de nombreuses reprises. Au point que mardi dernier, je leur demandai de ne plus me solliciter jusqu'au jeudi matin d'aucune façon, ni téléphone, ni mail (et respectant ainsi mon emploi du temps habituel, cette année je ne travaille pas le mercredi matin, que j'avais un peu zappé depuis les débuts du confinement). Mes élèves ont été adorables et ont respecté ma requête, ce qui m'a permis de reprendre un peu pied...

Reste ce sentiment d'avoir atteint mes limites, sensation d'impasse...
Qu'il va me falloir surmonter car demain, lundi je commence une nouvelle leçon !
J'ai choisi de travailler sur le futur de l'indicatif. Plus facile que le passé composé, ça devrait passer crème : )
Non, trêve d'ironie, j'y vais mais j'ai peur !
Suite au prochain épisode (et vivement les vacances !)

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