Un conseil de classe (Chroniques d'un confinement II)

Avec la fermeture des établissements scolaires, nous avons dû faire les conseils de classe à distance.
Le moment est donc tout trouvé pour en parler comme je l'avais promis au début de l'écriture des Chroniques. 

D'abord, une précision : depuis le passage en dispositif, je ne suis officiellement plus professeur principal (je ne suis plus rétribuée pour ça), mais j'en remplis l'office quand même : je me charge des appréciations de pied de bulletin (c'est la synthèse des appréciations des enseignants), j'interviens pour mes élèves à chacun de leurs conseils et leurs orientations reposent essentiellement sur moi (grosse responsabilité dont, à ce jour, personne d'autre que moi ne veut)

Globalement les conseils se passent sereinement mais ils peuvent être ponctuellement des moments douloureux :
- je connais mes élèves par cœur (aucun enseignant ne les a comme moi 12 heures par semaine), je prends donc logiquement très à cœur ce qui est dit sur eux. J'ai du mal à accepter un regard étriqué (mais qui est logique puisque mes collègues ne les voient pas autant que moi) et dois me raisonner fortement pour ne pas parfois aller à la querelle.
- la majorité de mes collègues ne différencie pas, mettant les allophones dans des difficultés certaines. Cela me révolte mais : même si c'est la loi et qu'ils ont l'obligation de le faire, ils ne sont pas formés à ça et différencier peut se révéler compliqué, comme je l'ai expliqué dans un précédent article.
- mes collègues n'ont pas compris le principe des inclusions : à part pour le Français avec moi, les Maths (je vais y revenir), l'EPS et les Langues (lorsqu'elles sont commencées avec les autres élèves ou qu'une différenciation s'opère pour une remise à niveau), les autres matières sont des matières de découverte. Elles ne sont pas le lieu d'une évaluation discriminante. Pourtant nombre de mes collègues évaluent les allophones comme les autres élèves, sans se soucier du caractère profondément injuste de cette pratique. J'ai vu des moyennes autour de 2, 3 ou 4 sur 20. Je n'interviens que lorsque le ou la collègue met 0, cela arrive au moins une fois par trimestre. Et je me fais violence : ce sont mes pairs, je me mets en difficulté relationnelle quand ça arrive.
Concernant les Maths, la même difficulté s'est posée : aux débuts du passage en dispositif, les élèves étaient inclus dans les niveaux de leur classe d'âge. Sans différenciation, c'était compliqué, pour les élèves (qui pour certains étaient pourtant excellents dans leur pays) mais aussi pour les enseignants. Il y a deux ans, ceux-ci ont demandé que soient allouées des heures pour faire des groupes de Maths pour les allophones. Depuis, cela se passe beaucoup mieux (mais c'est contraire au principe des inclusions de la circulaire)

Hier, j'ai été mise en difficulté sur le cas d'une élève de 3ème.
Sur le fil de discussion Pronote l'enseignante d'Espagnol explique qu'il est "inenvisageable" pour elle que l'élève aille en lycée général, comme le demande la famille.
Je vais être franche, cela me met hors de moi : L. est arrivée en septembre de Finlande, c'est une élève hyper performante, très autonome et mature. Elle a été orientée en 4ème au vu de son âge mais au second trimestre a été incluse en 3ème car elle avait un très bon niveau de Maths et d'Anglais. Elle faisait jusque là de l'Italien. Lorsqu'elle arrive en 3ème, elle demande à faire de l'Espagnol. Ce qui signifie que l'enseignante qui s'oppose fortement à son passage la connait depuis trois mois, sur une matière qu'elle découvre alors que ses camarades la pratiquent depuis trois ans.
La collègue n'a pas compris que les matières d'inclusion sont le lieu de la découverte d'une nouvelle matière et non un moment d'empêchement. L. parle cinq langues, si au final elle ne parle pas l'Espagnol, ce n'est pas grave ! Et ce ne doit certainement pas être le prétexte d'une obstruction au passage en lycée...
J'ai répondu un peu trop vertement sur le fil de discussion, (j'ai usé du sarcasme, seul moyen que j'ai trouvé pour canaliser mon irritation), me suis pris une volée de bois vert d'autres collègues solidaires de la prof d'Espagnol (ses copines en fait). Fin de l'épisode.
Épisode toutefois révélateur des tensions inhérentes à notre mission en UPE2A : je ne suis jamais avec mes collègues contre les élèves, je suis avec mes élèves, parfois contre mes collègues. Et cette posture, qui m'est imposée par la situation, est proche de l'intenable.

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